Extraits du journal intime de Clémence Destrées
31 décembre 2192
Cher journal,
Ce soir, c'est le réveillon du nouvel an. A la maison, il n'y a que Hug', Pau' et moi. Papa et maman sont encore à la réception organisée au casino. Il a été privatisé toute la nuit par des vampires. Encore. A minuit, on va encore se souhaiter la bonne année à trois. Comme d'habitude, papa et maman seront encore au casino pour le plaisir des vampires. Je veux qu'ils soient là. Je les veux à la maison. J'en ai assez de les partager avec Léonie. Tiens ! Cette vampire, je l'ai encore vue sortir discrètement du bureau de papa ce matin. Encore une fois, elle m'a tapoté la tête avec son sourire bizarre et en m'appelant "mon petit sucre". Elle est gentille avec ses cadeaux, mais parfois elle fait vraiment peur, surtout quand elle sort de la pièce derrière la salle de surveillance de la sécurité. Je me demande ce qu'elle y fait et ce qu'il y a dans cette pièce.
Ah ! J'entends la porte. J'espère que ce sont eux cette fois. Et pas juste Léonie.
1er avril 2192
Cher journal,
Aujourd'hui, c'était le pire jour de l'année après mon anniversaire et avant le réveillon du nouvel an. Le premier avril. Léonie est passée à la maison. Celle-là, elle ne vient que trois jours par an : le jour de mon anniversaire, au réveillon du nouvel an et le premier avril.
Cette fois, elle vient pour le premier avril. Je déteste ses farces. Cette année, elle m'a fait croire qu'elle avait tué papa. Comment ai-je pu y croire !? Elle était morte de rire (comme si elle le pouvait) en me voyant devenir toute blanche et en ayant les larmes aux yeux. Et elle a osé me dire que j'étais jolie avec les joues toutes pâles, que je lui ressemblais un peu.
Je ne sais pas quoi penser de Léonie.
Elle est gentille, fait du bien à notre famille et au casino. Il faut dire qu'elle aime venir y jouer.
Elle m'intrigue aussi. On ne sait rien d'elle, enfin quand je dis "on", je parle de Hugo, Pauline et moi. Maman semble en savoir plus, mais pas autant que papa. Moi, je sais juste qu'elle est vampire, qu'elle est de Deauville depuis toujours, et qu'avant d'être vampire, qu'elle avait connu les francs peu de temps avant leur disparition. D'ailleurs, pour se faire pardonner de sa mauvaise farce de cette année, Léonie m'a donné un jeton de 2500 francs, son jeton à elle, son bien le plus précieux d'après elle. Exactement comme celui de 2500 francs qui est encadré avec d'autres vieux jetons en francs, dans le bureau de papa. C'était un vieux jeton du casino de papa. Avant qu'il n'appartienne à papa, à grand-père et à son arrière-grand-père à lui.
Mais elle me fait peur aussi. Parfois, elle me regarde fixement. Et elle me sourit, avec ses longues dents qui dépassent. Elle me dit que je suis à croquer. Là, elle me fait vraiment peur.
Pourquoi me fait-elle subir ça si elle me dit que je suis sa préférée parce que j'ai tout du côté de papa ? Qu'elle me préfère à Pauline parce que Pauline ressemble au côté de maman. Papa ne dit rien, il la laisse me faire tout ça. Maman fait mine de rien voir.
15 juin 2199
Cher journal,
Cela faisait longtemps que je n'avais pas écris quelque chose sur ces pages. Plus l'envie, plus le besoin surtout. Si je reviens m’épancher ici, c'est parce que j'ai appris quelque chose d'incroyable. Ce matin-même, le jour de mon anniversaire ! Léonie... elle est l'arrière-arrière-arrière... je ne sais plus combien en arrière. Bref Léonie est une grand-mère de papa. Si elle me préfère à Pauline et Hugo, c'est parce que je suis, d'après elle, son portrait craché. Moi ! Le portrait craché de Léonie ! Elle ! Elle est grosse, le visage bouffi et les cheveux grisonnants. Papa le savait. Maman aussi. Mais ils ne voulaient pas nous mettre au courant, Pauline, Hugo et moi. Léonie en a décidé autrement. De toute façon ce que dit Léonie est loi à la maison et au casino. Donc si Léonie décide de me le dire, papa et maman se taisent et subissent. J'ai vraiment été choquée, puis étonnée, et finalement, je suis plutôt contente. Parce qu'en fait, je l'aime bien Léonie. Elle est bien plus cool que maman. Malgré ses farces stupides du premier avril.
Aujourd'hui, j'ai 16 ans et Léonie m'a emmené visiter Paris pour mon anniversaire. Maman n'aime pas trop me voir traîner avec Léonie. Elle dit que la "vieille" a une mauvaise influence sur moi. Je trouve pas. Elle me fait faire plein de choses nouvelles. Aujourd'hui, Léonie m'a fait fumer une cigarette pour fêter mes 16 ans et boire de l'alcool. Horrible expérience. Je me suis étouffée en fumant et j'ai recraché son alcool. Elle a ri et m'a dit "si tu y passes en étouffant avec la boisson ou la cigarette, je te transforme et on passera alors l'éternité ensemble mon petit sucre". J'ai aussi ri mais... je ne veux pas de l'éternité. J'ai pitié pour Léonie. Elle restera vieille, grosse et bouffie pour l'éternité avec ses chats. Aucun régime n'aura effet sur elle. Tandis que moi, même si je vais mourir un jour, je pourrai rester belle toute ma vie !
Lors de notre excursions à Paris, Léonie m'a fait visiter son appartement dans le quartier Latin. Chez elle, c'est aussi vieux qu'elle. Des tapisseries façon moquette avec des dessins baroques, des vieux meubles qui manquent de s'effondrer si on les touche. Et des chats. Partout ! Léonie m'a montré sa transformation. : un chat. Un chat gris et grassouillet. Un chat d'appartement en fait. Léonie est un vieux chat d'appartement. J’étais morte de rire en la voyant ! Elle s'est un peu offusquée car elle a feulé et m'a laissé en plan dans le salon pendant une bonne heure, avant de revenir comme si de rien n'était, avec un peu de sang en coin de bouche.
Là, il est presque minuit et on vient de rentrer de Paris. Elle m'a dit que si je le souhaite, à ma majorité, je peux habiter avec elle, à Paris. Papa a haussé les épaules quand elle l'a informé de sa proposition. Maman a pleuré toute la soirée. Pauline a fait sa tête de jalouse et Hugo a fait ce qu'il fait de mieux : ne rien dire et ne rien faire.
15 juin 2201
Cher journal,
Je viens de fêter mes 18 ans et de te retrouver au fond d'un tiroir à sous-vêtements. Je ne t'ai pas sorti d'ici depuis 2 ans. Depuis que Léonie m'a fait sa proposition. J'ai accepté sa proposition. Si je te retrouve aujourd'hui, c'est justement parce que je suis en train de faire mes valises pour partir. Papa est déçu mais rassuré car en habitant chez Léonie, même si elle est vampire, il estime que je serai encore plus en sécurité qu'au Casino. Maman pleure. Mais les propos de papa la rassure. Et ceux de Léonie aussi, qui a dit m'aimer comme sa fille, sa petite-fille et l'ensemble de ses petites-filles qu'elle a toujours le regret de voir mourir. Pauline a demandé à Léonie si elle pouvait venir. La réponse fut claire : juste pour les vacances. Pauline m'en veut. Je quitte le casino et elle, elle doit y rester.
Je t'embarque avec moi, cher journal. Je ne voudrais pas que Pauline te trouve et puisse lire les conneries que j'ai fait avec Léonie. Elle serait capable de te montrer à papa et maman pour ainsi me faire revenir.
Mais cher journal, ne t'attend pas à ce que j'écrive quoi que ce soit de plus sur tes pages. Tu fais maintenant partie de mon passé. Léonie et Paris sera mon présent et mon avenir.
Ce qu'il s'est passé après le 15 juin 2201
La vie chez Léonie était agréable jusqu'à ce qu'un matin, Clémence trouve l'appartement vide en se levant. Léonie n'était pas là. Cela lui arrivait de disparaître quelques jours de temps à autre. Quand elle partait, elle était toujours de mauvaise humeur. Quand elle revenait, elle semblait fraîche comme un gardon, souriante et totalement calmée. Il n'y avait pas de doute que Léonie partait chasser. Cependant, une semaine après ce jour où Clémence ne trouva pas Léonie, la jeune femme n'eut toujours pas de nouvelle de sa vieille grand-mère.
La disparition soudaine de Léonie avait eu lieu un an après l'arrivée de Clémence sur Paris. Une formidable, merveilleuse année entre filles, à courir les boutiques, sortir dans des clubs branchés, aux bras d'hommes séduisant que l'amie Léonie trouvait avec une facilité déconcertante. Une année à rencontrer d'autres vampires un brin étrange. Ils avaient, pour certain, une tête hippie, de philosophe pour d'autres. Ils étaient presque déconnecté du monde. Léonie disait que c'était ses amis Utopistes. Ils étaient aussi devenus les amis de Clémence.
Depuis, elle vit seule, dans l'appartement de Léonie. En attendant le retour de la meilleure amie la grande sœur, l'aïeule. Les amis Utopistes de Léonie ne savaient rien sur sa disparition. La possibilité que Léonie puisse être morte était douloureuse à admettre pour Clémence. La disparition de sa protectrice la motiva à entrer dans la police. Elle visait la criminelle. En apprenant à enquêter, elle saurait comment retrouver Léonie. Quitte à apprendre sa seconde mort. En entrant dans la police, Clémence espérait s'ouvrir des voies lui permettant de savoir ce que Léonie était devenue.
Clémence a réussi à entrer dans la police. Elle est lieutenant de police à la Crim' de la DRPJ Paris. Cependant, ses recherches concernant Léonie stagnent et n'ont pas vraiment évolué. Elle est au point mort, presque à la case départ. Son travail à la DRPJ, voilà tout ce qui lui reste. Elle ne voit presque plus les amis de Léonie et encore moins sa famille.